Le retrait d’Afghanistan était logique et ne surprend que les candides. Il s’inscrit dans une continuité américaine qui date d’Obama. Il ne constitue pas pour autant un déclin profond des États-Unis qui suivent leurs intérêts stratégiques du moment, comme ils ont toujours fait, ce qui ne devrait pas surprendre les Européens.
La chute rapide de Kaboul a déclenché une vague de commentaires pessimistes. À La Vigie, nous parlons depuis longtemps (LV 73, 76, 167, 173) de ce pays. Notre analyse au long cours nous garde sans doute des emportements de commentateurs zélés.
Logique
La reprise de Kaboul par les taliban était attendue. Au fond, elle était inéluctable à la suite des premières décisions du début de la guerre : si l’intervention de 2001 visait à punir les taliban d’avoir accueilli Ben Laden, l’Amérique a manqué d’une stratégie pour l’Afghanistan. Le concept de « guerre contre le terrorisme » n’a pas aidé, ni même celui de « combattre là-bas pour les empêcher d’agir ici ». GWOT et Coin n’étaient que des sigles. Aller en Irak en 2003 n’a pas contribué à une ligne stratégique claire. Au fond, on faisait la guerre sans savoir pourquoi et le « nation building » ou le « state building » ont montré leur vacuité, compte-tenu de la méthode employée et de la corruption entretenue par les élites choisies par Washington. Finalement, l’Amérique a rendu le pays à ceux qui le détenaient il y a vingt ans.
Continuité américaine
Notons ici une certaine continuité entre MM. Obama, Trump et Biden : les trois voulurent cesser les frais. Les accords de Doha de février 2020 définissaient déjà la fin de l’histoire. Ce qui a surpris fut la rapidité de la reprise en main du pays par les taliban.
Il est vrai que négocier une date de départ (décision de D. Trump qui critique bien facilement son successeur pour des décisions qu’il a lui-même largement engagées) n’est jamais la meilleure façon de traiter. Pour autant, il y a rarement des défaites élégantes.
Cependant, J. Biden a fait un pari : celui que les taliban ont changé, qu’ils chercheront une certaine crédibilité internationale et qu’ils collaboreront pour éliminer d’autres branches djihadistes non nationales. En ce sens, il est probable que les deux parties ont le même intérêt à se débarrasser de la résurgence de l’État Islamique, auteur de l’attentat à l’aéroport de Kaboul qui a fait des dizaines de morts.
L’inconnue réside surtout dans la cohésion dont feront preuve les taliban. Unis pour la conquête du pouvoir, ils peuvent tout à fait se déchirer une fois au sommet. Nombre de mouvements révolutionnaires ont ainsi connu de tels déchirements.
Opportunisme plutôt que faiblesse
Cette affaire marque-t-elle pour autant le déclin américain ? Certes, Washington a perdu les nombreux conflits engagés au cours des cinquante dernières années. Observons pourtant que cela n’a pas trop dégradé sa volonté et sa capacité à dominer les affaires du monde. Certes, les États-Unis ne sont plus l’hyperpuissance des années 1990. Ils demeurent une évidente puissance globale (probablement la seule) avec des atouts indéniables (économie, soft power, puissance digitale et force militaire, même si l’utilisation de celle-ci peine à convaincre).
L’Amérique poursuit comme toujours ses propres objectifs stratégiques du moment. On ne s’allie avec elle pour un temps donné, quand ses intérêts stratégiques s’accordent aux siens. C’est pourquoi les cris d’orfraie de ceux qui découvrent aujourd’hui la fin de l’Occident manquent de réalisme. Il en est de même de ceux, notamment chinois, qui se célèbrent une défaite américaine. Car celle-ci intervient sur un théâtre secondaire, contre un ennemi grossi à dessein (« le terrorisme ») et qui ne touche plus aux intérêts fondamentaux de Washington.
JOCV
Pour lire l’autre article du LV 174, Inquiétudes et remises en cause, cliquez ici.
Tout à fait d’accord. Non seulement ce n’est pas une défaite US mais il se pourrait qu’à terme ce soit bonne chose pour la civilisation… 2021 n’est pas 1996 et les populations régionales vont aspirer profondément à d’autres modes de vie que ceux proposés par les ruraux d’Afghanistan. Vingt années de pratique éducative, avec des outils médiatiques, développés et ouverts sur le monde forceront les nouveaux dirigeants à adopter d’autres règles et à venir, faute de ressources, à du commerce extérieur (quid stupéfiants ?) sauf à confisquer le pouvoir en totalité comme en Iran. Mais on n’en est pas là.